Je vous écris
Ma plume se met à danser sur la page blanche avec l’élan de son désir pendant de longues minutes pour proposer sa chorégraphie. Elle cherche des mots intègres, des mots justes, raye ceux qui oublient de se maîtriser et deviennent agressifs.
J’interviens alors pour diriger ce ballet le plus précisément possible, avec l’exigence du perfectionniste.
C’est une œuvre en trois actes qui prend forme ce soir.
Je vous écris souvent
La plume aiguisée est posée, quelques feuilles à côté, la lumière douce attend le mouvement.
Le premier tableau envahit de charme.
« Je vous aime. »
Ces mots ne sont pas les miens, je n’avais pas tant d’assurance. Vous, vous ne saviez pas, en prononçant ces mots, que mes oreilles de jeune femme allait y croire. Croire au sens profond d’un verbe, en l’occurrence, conjugué à n’importe quel temps, sans concordance. Les mots, les mêmes mots, peuvent-être entendus de mille façons. Hélas ! parfois. Mais les mots n’appartiennent en propre à personne et chacun les utilise selon sa guise. Les mots les plus doux peuvent, ainsi, devenir traites.
« Vous êtes belle ».
Je ferme les yeux pour mesurer la répercussion de cet écho dans mon corps tout entier. Banale, sans doute, chez une femme dont la beauté plastique fait l’unanimité, cette révélation prend, ici, une toute autre importance. Quand la beauté n’est pas visible au cœur nu, il faut un zeste de sentiment pour la découvrir. Il faut prendre le temps, puis oser s’affirmer pour offrir le compliment. Le cadeau devient alors aussi précieux qu’une perle rare, un doux chant que l’oreille enregistre en continu, longtemps.
La scène mérite d’être prolongée encore. Encore un peu. L’atmosphère dégage du bonheur, son parfum pénètre délicatement, son air est pur.
Coupez les lumières !
Quoi ? Pourquoi ? Comment ? Que se passe-t-il ?
Dans le noir brutal, inexplicable, les repères s’effacent. Le vide cède la place au trop plein de bruit. La panique guète, bouscule, étourdit.
Je t’écris parfois.
Les lumières se rallument, lentement.
J’écris. J’écris à moi-même puisque les mots ne s’envoleront pas plus loin que le bout de ma plume et qu’aucun autre regard que le mien ne les suivra ligne à ligne.
Je ne veux pas faire partie de ses rejetés qui dérangent en tambourinant les parois, mais j’ai souvent envie de soulever le couvercle pour crier mon innocence, besoin de mériter au moins une poubelle moins sale. Je vis comme j’ai accouché, en m’efforçant de canaliser la douleur, surtout l’empêcher de gagner du terrain ou d’introduire la panique.
Tout va bien, je respire à fond puis halète comme un petit chien. Tout va bien.
Une plume chatouille mon nez, puis s’envole vers la lumière.
Le jour chasse la nuit. Tout va bien, les neuf coups ont sonné, le soleil brille déjà.